« J’ai vu tout ça se construire, les efforts consentis par mes parents, le peu de vacances qu’ils ont pris pour permettre à leurs 3 fils d’avoir leur propre parcours. L’idée que tout ça continue d’exister génère chez moi une satisfaction. », explique Dominique, l’ainé de la fratrie, engagé dans la transmission de la structure.
Changement d’époque, changement de modèle
C’est le décès de leur frère qui décide Dominique à rejoindre le benjamin Jean-Marc sur la ferme des parents. « On s’est installés en août 1999, en conventionnel sur 40ha ». Les années qui suivent sont compliquées économiquement pour la ferme. « Le modèle de développement du temps de nos parents, c’était Rungis: on produisait pour satisfaire une demande de masse. Il a trouvé ses limites à partir des années 80 pour les pommes et autour des années 2000 pour les poires et les fruits rouges, avec l’ouverture du marché à la concurrence espagnole, portugaise, belge et des Pays-Bas pour les poires. Le marché s’est tassé. On n’arrivait plus à dégager la marge. »
Dominique, le gestionnaire, diversifie les débouchés : les grandes surfaces pour les pommes et Rungis pour les fruits rouges. « On amenait 300 colis de framboises par jour à Rungis. Pour optimiser la livraison, on a développé une tournée de fruits rouges vers des restaurants, pâtissiers, traiteurs haut de gamme... » En 2004, les deux frères créent un point de vente à la ferme pour valoriser les productions et développent l’achat-revente. En 2006, ils réduisent la surface à 22ha.
Passage en Bio
Une AMAP s’approche, mais ne les retiendra pas, parce qu’ils ne sont pas en bio. « Pour s’engager en bio, il faut une structure en bonne santé économique. Les risques seront plus facilement assumés. On était plutôt en mauvaise santé. » L’achat-revente permet à la boutique de dégager des marges qui profitent à la ferme. En 3 ans, la structure est à flot. Le dernier frein est technique. « Pour le conseiller qui nous accompagnait le risque tavelure n’était pas gérable en bio.» Des rencontres organisées par le GAB IdF en 2009 chez des arboriculteurs bio français, leur prouvent le contraire : « on a pu voir que des variétés comme la Royal Gala sensibles à la tavelure étaient tout à fait gérables en bio. » Ils engagent la conversion des fruits à pépins et à noyaux (prunes, poires, pommes et kiwis), et généralisent aux fruits rouges en 2011. « S’être engagé en bio, nous a ouvert des portes. On a signé avec l’AMAP revenue vers nous, on a été contactés par d’autres AMAP et on a utilisé le site AMAP Ile de France pour en trouver d’autres et rationaliser les livraisons. Aujourd’hui on est à 76 partenariats AMAP, ça constitue l’assise économique de la structure. » Le couple AMAP-AB est vertueux. « Depuis 2015, on a vécu 7 campagnes avec des événements climatiques impactant la production, dont deux sécheresses. Les partenariats en AMAP nous ont permis de franchir ces écueils sans trop de mal. » Ils s’appuient aussi sur la stabilité de la production de fruits rouges.
Bientôt la quille !
Dominique compte les campagnes : 4 jusqu’à sa retraite en 2026 ! « La prise de conscience date de fin 2021, je ressentais la fatigue plus que d’habitude. On a contacté le GAB IdF et Terre de Liens. Comme on ne vend pas la structure, Terre de Liens s’est mis de côté. On se dirige vers une transmission en fermage : nos parents perçoivent un loyer sur les logements, les hangars et les terres, un revenu complémentaire dont ils ont besoin.» Des journées de formations organisées par le GAB IdF et Terre de Liens, il a retenu une chose : la transmission est une co-construction, un compromis où chacun doit trouver sa place et des garanties. Aujourd’hui, ils ont 5 candidats potentiels, qui s’engagent moralement à rester en bio et à conserver les partenariats AMAP. Pendant tout cet échange avec Dominique, mené entre les parcelles, Jean-Marc s’affaire sur le tracteur dont il cherche la fuite. Avec 8 ans d’écart, la retraite n’est pas son sujet. Il se projette à la ferme jusqu’à sa retraite et n’exclut pas le salariat. « C’est bien que ce soit moi qui m’arrête en premier., conclut Dominique, La gestion s’assimile en une ou deux campagnes. Mais pour le terrain, les itinéraires techniques, il faut bien 10 ans pour être autonome.»
Propos recueillis par Fanny Héros